INTERVIEW #1 - Pr Yannick Ruelle
"Nos patients ne venaient plus par peur"
Pr Yannick Ruelle - Médecin généraliste au Centre de santé de Pantin (93) - Juin 2020

Comment vivez vous cette période ?
C'est un grand chamboulement dans mon activité. Beaucoup de nos patients ne viennent plus par peur. Les injonctions à ne pas sortir ont été très fortes. Même dans les médias c'était "ne sortez pas de chez vous" , "si vous avez des symptômes de covid appelez le 15". Cette communication délétère a éloigné des gens qui ont besoin de nous.


Et la télé-consultation ?
C'est très compliqué. D'un côté il y a notre métier qui est avant tout un métier relationnel et clinique, et de l'autre les patients qui ont du mal à régler les problèmes à distance surtout ceux qui ont un niveau de littératie assez bas. Il faut comprendre que la médecine générale se définit par la prise en charge biomédical, psychologique et sociale, c'est l'intrication des trois et c'est en permanence l'intrication des trois. La consultation classique nous amène vers la prévention, le dépistage, à parler des vaccins, etc... Nous faisons des diagnostics de "situation", on prend en charge une situation et pas juste une maladie. Or la télé-consultation se limite souvent au motif initial. Ce n'est pas adapté à notre métier. Et ma crainte c'est que les pouvoirs publics profitent de l'occasion pour développer de manière importante les télé-consultations.
Quelle analyse portez-vous sur la gestion de la crise par les pouvoirs publics ?
Je pense qu'elle a été hospitalo-centrée. Très rapidement le message dominant en cas de symptôme était "faites le 15" mais n'allez surtout pas voir votre médecin de proximité. La suite tout le monde la connaît, engorgement de l'hôpital, demande de moyens, déblocage de fond, et tout ça a encore plus reporté les gens vers l'hôpital, donc ré-engorgement et ainsi de suite.
"L'hôpital n'aurait dû être qu'un troisième recours"

Selon moi c'est une mauvaise réponse aux maladies infectieuses. Certes cette maladie peut devenir grave et mortelle mais elle est très majoritairement bénigne. La réponse à cette crise aurait dû se faire au sein d'une coordination entre l'ambulatoire et l'hospitalier avec une gradation des niveaux de recours. Un premier recours par les soins primaires (médecins généralistes et leurs équipes), un deuxième recours par les médecins spécialistes ambulatoires puis l'hôpital en troisième recours. Dans notre centre de santé nous sommes capables de prélever des gens en masse. Le laboratoire avec qui nous travaillons peut les analyser, mais il lui faut les réactifs et nous les écouvillons. Je pense aussi que l'hôpital est tràs identifiable pour les pouvoirs publics : il est beaucoup plus facile de livrer dix mille masques dans un hôpital que cinq cents dans vingt structures de soins primaires.

Cette crise a-t-elle amené un point positif ?
Oui, sur Pantin nous étions en train de constituer ce que l'on appelle une Communauté Professionnelle Territoriale de Santé (CPTS) c'est un groupement des acteurs de santé et sociaux autour d'un projet de santé. Nous étions dans les prémices d'une constitution de cette communauté et l'épidémie a accéléré les choses. Nous avions du mal à faire venir du monde pour discuter du projet et là très rapidement on s'est mis en contact avec tout le monde. On a mis en place des outils de communications pour organiser la réponse à l'épidémie sur le territoire, on s'est mis aussi à parler avec l'hôpital ce qui n'était pas arrivé depuis longtemps.

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INTERVIEW #2 - Dr Yohan Saynac
"Tous a été vu par le prisme de la réanimation"
Dr Yohan Saynac - Médecin généraliste libéral en Seine-Saint-Denis (93) - Juin 2020

Comment vivez vous cette période ?
Fin janvier l'OMS a déclaré l'infection comme une pandémie. Les symptômes connus nous faisaient penser à une grosse grippe. Nous, moi et d'autres professionnels de santé, avions du mal à comprendre et à prendre au sérieux la menace. Puis en Février, au vu de ce qu'il se passait en Chine, j'ai passé une commande de masques FFP2. Mais cette commande n'est jamais arrivé, elle avait été réquisitionné. Cet épisode m'a fait comprendre la gravité de la situation. Fin février nous avions tous pris conscience que ça a allait frapper la France. Il fallait donc se préparer.
Les centres de santé, notre maison de santé et beaucoup de cabinets de médecins libéraux ont réfléchi à une réponse à l'échelle du territoire. La réponse retenue a été de mettre en place des organisations dans des structures existantes et de les rendre visibles. Ce qui a permis aux autres professionnels de santé isolés sans locaux aux normes de confier leurs patients infectés.


Quelle analyse portez-vous sur la gestion de la crise par les pouvoirs publics ?
Avoir confié l'intégralité des appels au SAMU c'est totalement idiot. Il était évident que le 15 ne pouvait absorber l'afflux d'appels. Un ami du SAMU m'a même alerté sur des patients atteint d'infarctus "perdus" parce qu'ils ont mis 80 minutes à arriver sur place. Le SAMU submergé, nous nous sommes signalés avec les centres de santé auprès de leur service. Le message était simple et clair: "nous sommes organisés, envoyez nous des patients". Ça n'a pas du tout fonctionné.

Sur le système de santé, le lien ville-hôpital a de nouveau très mal fonctionné. Le gouvernement a mal cerné l'apport qu'aurait pu avoir la mobilisation des professionnels de santé ambulatoires, ils auraient pu être plus efficient. Le reflex a été de se replier sur l'hôpital, c'est plus facile, ils ont la main dessus. On a du mal à comprendre leur vision globale. Quel est le rôle de l'hôpital ? Quel est le rôle à jouer pour la ville ? Pour plus de 80 % des cas atteint du covid-19 c'est une pathologie de médecine générale, 20% nécessitent une hospitalisation et 5% une réanimation. Mais tout a été vu par le prisme d'une toute petite partie de l'hôpital: la réanimation.


"Il ne faudra pas oublier pourquoi on en est arrivé là"
Puis il y a la communication sur le matériel, elle a été calamiteuse. Le matériel a été un point de crispation énorme. Ils auraient été gagnant de dire "Il n'y a pas de stock, le marché mondial est très compliqué, attendez vous à ne pas être suffisamment protégé" Cette communication maladroite sur le matériel a beaucoup occupé l'espace médiatique. Pendant ce temps là on a pas parlé du creusement des inégalités sociales que tout cela a occasionné , des patients qui ont des maladies chroniques que l'on ne voit plus, de l'isolement des personnes âgées, des gamins qui se nourrissent mal, tout un tas de sujets qui n'ont pas été traité.

Comment s'est passé votre entrevue avec le président de la république ?
J'avais eu peur d'une visite éclair mais il est resté une heure dans nos locaux dont vingt minutes en privé. C'était l'occasion de l'alerter sur les usagers exclus du soins, les effets négatifs de la télé-consultation, la crainte de sacrifier les soins primaires après la crise, le rapprochement entre les médecins libéraux et les centres de santé, l'inquiètude de ne plus voir les patients malades chroniques,... Il a écouté, dire qu'il a entendu, je n'en sais rien.

Cette crise a-t-elle amené un point positif ?
La solidarité ! Les patients, les associations et les habitants ont mis en place des dons de matériels, des prêts d'appartements pour les patients en "isolement", des distributions de nourriture à domicile, et pleins d'autres choses. Cela a montré que les gens ont envie de faire le bien et beaucoup l'ont fait.

Qu'attendez-vous de l'après crise ?
Une forte prise de conscience politique. Il ne faudra pas oublier pourquoi on en est arrivé là. Il ne faudra pas oublier les sacrifices des soignants qui ont pris des risques pour leur vie. Il ne faudra ps oublier l'intérêt d'être souverain dans les secteurs comme les médicaments, le matériel médical, les masques, l'oxygène, etc... Il ne faudra pas oublier les facteurs, les caissières, les chauffeurs de bus, les livreurs, toutes ces personnes qui ont montré à quel point ils sont indispensables à la société. Le politique va tenter de revenir aux fondamentaux une fois l'orage passé. Les citoyens vont devoir faire entendre leurs voix de façon massive pour que cela change.


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INTERVIEW #3 - Dr Émilie Thouny
"Du jour au lendemain tout a changé, c'était brutal"
Dr Émilie Thouny - Médecin généraliste au Centre de santé de Pantin (93) - Juin 2020
Comment avez vous vécu la crise sanitaire?
Avec beaucoup de stress. Du jour au lendemain tout a changé, c'était brutal. Il a fallu sécuriser notre centre de santé, décommander des patients, gérer des urgences, faire de la télé-consultation, travailler plus d'heures et bien sûr s'informer sur cette maladie que nous ne connaissions pas. Mais entre les informations médicales, mes propres interprétations des premiers résultats, les informations grand public et les nouveaux symptômes c'était très compliqué d'évaluer le niveau de gravité du covid-19. Au début la pression était tellement forte que la question "covid ou pas covid ?" s'imposait pour chaque patient qui présentait des symptômes alors que les symptômes "covid" sont les mêmes pour beaucoup maladies.

Et chez vous ?
Pendant les premières semaines de cette crise tout mon entourage me demandait des informations sur cette maladie. On me posait pleins de questions mais je n'avais aucune réponse. Je me suis senti impuissante face à cette angoisse. D'autant plus que le message des pouvoirs publics a changé très vite. C'est passé d'une maladie à gérer comme une grippe à une maladie très grave, c'était déstabilisant.
"Des gens confinés pas malades deviennent malades parce qu'ils sont confinés"
Quelle analyse portez-vous ?
Le focus a été mis sur les soignants de l'hôpital, on les applaudi tous le soirs c'est très bien mais la plupart des patients ne sont pas allés à l'hôpital. Ces personnes, nous n'avons pas pu les tester, nous n'avons pas pu faire de santé de public, nous n'avons pas pu savoir combien de personne étaient vraiment malade en ville. Ceux-là il faut s'en occuper même si ils ne sont pas en 'réa'. Si ce genre d'épidémie se répète, il faudra réagir différemment. Le diptyque: augmenter les plateaux de réanimation et confiner, devra être remplacé par le triptyque: tester, traiter et suivre par des médecins de ville. Les pouvoirs publics n'ont pas donné les moyens aux médecins généralistes de faire leur travail.
Avez-vous retenu un point positif durant cette crise ?
La sensibilisation sur la prévention, se laver les mains, tousser dans son coude, etc... Nous avons des affiches partout toute l'année pour cette sensibilisation mais ça ne fonctionnait pas. Beaucoup de gens avaient oublier ces gestes simples alors que chaque année il y a une épidémie de grippe saisonnière. Aujourd'hui il y a une prise de conscience collective sur ces gestes et c'est très bien.
Une appréhension particulière ?
La gestion psychologique. Des gens confinés pas malades sont devenus malades parce qu'ils ont été confinés. Cette phase post-confinement, nous allons la prendre de plein fouet avec mes confrères, nous allons ressentir ce choc psychologique chez beaucoup de nos patients et pendant longtemps.
L'avenir ?
Je me pose beaucoup de question sur le futur proche. Combien de temps encore allons nous vivre avec le covid ? Y aura t'il une autre épidémie comme celle-ci ? Vont-ils trouver des mutations, des sérogroupes ? Quoi qu'il en soit nous allons garder une organisation comme aujourd'hui, garder la possibilité de recevoir des gens très malades en toute sécurité.
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